dimanche 20 septembre 2015

Constat d'une société leurrée.



Cette semaine au boulot, je discutai avec un spectateur qui me parlait des spectacles qu'il essayait de choisir pour lui et ses enfants. Il semblait légèrement en difficulté. Quand je lui ai demandé si il venait souvent au théâtre il m'a répondu 
"Le théâtre ? Ah non vraiment pas c'est pas vraiment mon truc. Je fais surtout ça pour mes enfants. D'habitude c'était mon ex femme qui les emmenait. Je veux dire le théâtre c'est quand même un truc de filles quoi !"
Ah bon ? Et bien mon cher monsieur permettez-moi de faire un point sur ce "truc de filles !" :

On ne peut pas dire que le milieu théâtral fasse la part belle aux femmes. Pourtant on pourrait considérer ce constat de paradoxale face à un milieu professionnel que l'on pourrait croire plus ouvert et progressiste. En France on compte très peu d'auteures issues de l'écriture dramatique d'avant les années 1970. Cette absence ne peut qu'accentuer les réalités sociales qui nous entourent.
Très peu de femmes ont réussis à s'imposer sur la scène théâtrale. Ariane Mnouchkine reste très certainement une des rares femmes à s'être imposée dans le champ de la mise en scène parmi tous ces artistes masculins des années soixante.

J'ai mis très longtemps à m'apercevoir que je faisais partie... d'une race (rires)... comment dire ? … d'une communauté opprimée. […] - j'ai mis longtemps à accepter qu'être une femme pouvait être un problème. […] Je me croyais au-dessus de cette mêlée-là. C'est quelque chose qui était tellement loin de moi : qu'on puisse penser que nous, les hommes et les femmes, nous n'étions pas égaux ! 1

Les femmes restent donc peu présentes et reconnus dans la sphère artistique. Rares sont les femmes dans notre scène contemporaine française à s'imposer aussi fortement que peuvent le faire certains metteurs en scène. Cette constatation n'est que la conséquence historique de l'état de la femme qu'il soit d'ordre social politique ou culturel.

Cette inégalité est bien présente et malheureusement persistante et c'est ce que l'inspectrice générale de la création , des enseignements artistiques et de l'action culturelle Reine Prat a tenté de dénoncer dans deux rapports rédigés en 2006 et en 2009 à la demande du Ministère de la Culture et de la Communication. « Pour l'égal accès des hommes et des femmes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation, dans le secteur du spectacle vivant. »
Il y avait une volonté à travers ces rapports de mesurer les inégalités entre les hommes et les femmes dans le secteur culturel et plus particulièrement dans le domaine des arts du spectacle.
Le constat fut alarmant puisque Reine Prat mis en lumière un fort déséquilibre et une situation très inégalitaire des attributions de responsabilités et de subventions entre les hommes et les femmes.
En 2006 : 92% des théâtres consacrés à la création dramatique étaient dirigés par des hommes. 85% des textes que nous entendions étaient écrits par des hommes. 78% des spectacles étaient mis en scène par des hommes.
Aucune femme n'avait jamais dirigé aucun des 5 théâtres nationaux et dont le plus ancien, la Comédie française, date tout de même de 1680.
Il faudra finalement attendre juillet 2006 pour que Muriel Mayette accède à la tête de la Comédie-Française soit 326 ans après sa création (ça en fait des générations...) .

Dans son rapport de 2009, Reine Prat constate une légère évolution concernant les théâtres nationaux et les centres dramatiques nationaux et régionaux.
Julie Brochen accède en effet à la tête du Théâtre National de Strasbourg et Dominique Hervieu au Théâtre National de Chaillot. En 2009, le pourcentage de directrices est passée de 7% à 16% contre 84% de directeurs. Légère évolution qui n'implique malheureusement pas de grands changements. Certaines situations vont même parfois jusqu'à se dégrader comme pour les centres dramatiques qui perdent en pourcentage de direction féminine.
Ces inégalités produisent des représentations artistiques qui développent et renforcent malheureusement les stéréotypes plutôt que de se développer vers une évolution des mœurs sociétales.
Les hommes continuent d'être majoritairement à la tête des institutions culturelles et d'en assurer la représentation vers l'extérieur puisque les femmes continuent d'occuper les seconds rôles, de faire tourner la maison et ainsi de conforter une division sexuelle des figures entre la sphère publique et la sphère privée.

Ces chiffres dénoncent une situation inacceptable mais tentent avant tout de poser un nouveau regard et de nouveaux objectifs en poussant l'invisible à devenir visible. Pour l'inspectrice générale de la création, 4 objectifs doivent être atteint dans l'espoir d'opérer un changement sur ces situations inégalitaires :
  • Un objectif de justice et d'égalité sociales.
  • Un objectif de mixité
  • Un objectif de modernisation et de démocratisation du secteur du spectacle vivant.
  • Un objectif d'enrichissement de la création.
Le 14 février 2013, Reine Prat fut l'invitée de l'assemblée de la délégation aux droits des femmes et exposa ses travaux à l'occasion d'une étude portée sur « Les femmes dans le secteur de la culture. ». Elle exposa l'idée que le milieu culturel et plus particulièrement du spectacle vivant reste un monde bien trop réactionnaire où les positions sont particulièrement figées et les rapports entre les hommes et les femmes totalement archaïques. Les femmes metteures en scène continuent d'être la cible privilégiée de critiques virulentes, la parité continue à être opposée à la compétence.

Pour changer cela il est important de donner aux artistes femmes les mêmes chances et moyens de production et de représentation que peuvent avoir les hommes. Il faut briser l'image que reflète le monde du spectacle vivant à savoir la subjectivité des quelques personnes sur qui repose le système et qui empêchent, par leur « pouvoir », aux artistes femmes de faire partie du « cercle » sans pour autant incarner un rôle type.

Alors : toujours une histoire de femmes ?

                                                                                                                                                  Calamity



1OutreScène, no 9, Strasbourg, Théâtre national de Strasbourg, mai 2007, p. 8-10