Cette semaine au boulot, je discutai avec un spectateur qui me parlait des spectacles qu'il essayait de choisir pour lui et ses enfants. Il semblait légèrement en difficulté. Quand je lui ai demandé si il venait souvent au théâtre il m'a répondu
"Le théâtre ? Ah non vraiment pas c'est pas vraiment mon truc. Je fais surtout ça pour mes enfants. D'habitude c'était mon ex femme qui les emmenait. Je veux dire le théâtre c'est quand même un truc de filles quoi !"
Ah bon ? Et bien mon cher monsieur permettez-moi de faire un point sur ce "truc de filles !" :
On ne peut pas dire que le milieu
théâtral fasse la part belle aux femmes. Pourtant on
pourrait considérer ce constat de paradoxale face à un milieu
professionnel que l'on pourrait croire plus ouvert et progressiste.
En France on compte très peu d'auteures issues de l'écriture
dramatique d'avant les années 1970. Cette absence ne peut
qu'accentuer les réalités sociales qui nous entourent.
Très peu de femmes ont réussis
à s'imposer sur la scène théâtrale. Ariane Mnouchkine reste très
certainement une des rares femmes à s'être imposée dans le champ
de la mise en scène parmi tous ces artistes masculins des années
soixante.
J'ai
mis très longtemps à m'apercevoir que je faisais partie... d'une
race (rires)... comment dire ? … d'une communauté opprimée.
[…] - j'ai mis longtemps à accepter qu'être une femme pouvait
être un problème. […] Je me croyais au-dessus de cette mêlée-là.
C'est quelque chose qui était tellement loin de moi : qu'on
puisse penser que nous, les hommes et les femmes, nous n'étions pas
égaux !
Les femmes restent donc peu
présentes et reconnus dans la sphère artistique. Rares sont les
femmes dans notre scène contemporaine française à s'imposer aussi
fortement que peuvent le faire certains metteurs en scène. Cette
constatation n'est que la conséquence historique de l'état de la
femme qu'il soit d'ordre social politique ou culturel.
Cette inégalité est bien
présente et malheureusement persistante et c'est ce que
l'inspectrice générale de la création , des enseignements
artistiques et de l'action culturelle Reine Prat a tenté de dénoncer
dans deux rapports rédigés en 2006 et en 2009 à la demande du
Ministère de la Culture et de la Communication. « Pour l'égal
accès des hommes et des femmes aux postes de responsabilité, aux
lieux de décision, à la maîtrise de la représentation, dans le
secteur du spectacle vivant. »
Il y avait une volonté à
travers ces rapports de mesurer les inégalités entre les hommes et
les femmes dans le secteur culturel et plus particulièrement dans le
domaine des arts du spectacle.
Le constat fut alarmant puisque
Reine Prat mis en lumière un fort déséquilibre et une situation
très inégalitaire des attributions de responsabilités et de
subventions entre les hommes et les femmes.
En 2006 : 92% des théâtres
consacrés à la création dramatique étaient dirigés par des
hommes. 85% des textes que nous entendions étaient écrits par des
hommes. 78% des spectacles étaient mis en scène par des hommes.
Aucune femme n'avait jamais
dirigé aucun des 5 théâtres nationaux et dont le plus ancien, la
Comédie française, date tout de même de 1680.
Il faudra finalement attendre
juillet 2006 pour que Muriel Mayette accède à la tête de la
Comédie-Française soit 326 ans après sa création (ça en fait des
générations...) .
Dans son rapport de 2009, Reine
Prat constate une légère évolution concernant les théâtres
nationaux et les centres dramatiques nationaux et régionaux.
Julie Brochen accède en effet à
la tête du Théâtre National de Strasbourg et Dominique Hervieu au
Théâtre National de Chaillot. En 2009, le pourcentage de
directrices est passée de 7% à 16% contre 84% de directeurs. Légère
évolution qui n'implique malheureusement pas de grands changements.
Certaines situations vont même parfois jusqu'à se dégrader comme
pour les centres dramatiques qui perdent en pourcentage de direction
féminine.
Ces inégalités produisent des
représentations artistiques qui développent et renforcent
malheureusement les stéréotypes plutôt que de se développer vers
une évolution des mœurs sociétales.
Les hommes continuent d'être
majoritairement à la tête des institutions culturelles et d'en
assurer la représentation vers l'extérieur puisque les femmes
continuent d'occuper les seconds rôles, de faire tourner la maison
et ainsi de conforter une division sexuelle des figures entre la
sphère publique et la sphère privée.
Ces chiffres dénoncent une
situation inacceptable mais tentent avant tout de poser un nouveau
regard et de nouveaux objectifs en poussant l'invisible à devenir
visible. Pour l'inspectrice générale de la création, 4 objectifs
doivent être atteint dans l'espoir d'opérer un changement sur ces
situations inégalitaires :
Un objectif de justice et
d'égalité sociales.
Un objectif de mixité
Un objectif de modernisation et
de démocratisation du secteur du spectacle vivant.
Un objectif d'enrichissement de
la création.
Le 14 février 2013, Reine Prat
fut l'invitée de l'assemblée de la délégation aux droits des
femmes et exposa ses travaux à l'occasion d'une étude portée sur
« Les femmes dans le secteur de la culture. ». Elle
exposa l'idée que le milieu culturel et plus particulièrement du
spectacle vivant reste un monde bien trop réactionnaire où les
positions sont particulièrement figées et les rapports entre les
hommes et les femmes totalement archaïques. Les femmes metteures en
scène continuent d'être la cible privilégiée de critiques
virulentes, la parité continue à être opposée à la compétence.
Pour changer cela il est
important de donner aux artistes femmes les mêmes chances et moyens
de production et de représentation que peuvent avoir les hommes. Il
faut briser l'image que reflète le monde du spectacle vivant à
savoir la subjectivité des quelques personnes sur qui repose le
système et qui empêchent, par leur « pouvoir », aux
artistes femmes de faire partie du « cercle » sans pour
autant incarner un rôle type.
Alors : toujours une histoire de femmes ?
Calamity